
CONTRE MAUVAISE FORTUNE…(ÉPISODE 3/FINAL)
Arrivé au château, je me suis attelé à travailler l’épure que j’avais créée le jour d’avant. J’étais tout guilleret et j’avais décidé que rien ne me gâcherait l’humeur. Genny m’a fait un petit signe en allant se préparer pour son premier spectacle. Mon cœur faisait des bonds en même temps que mon maillet sur le ciseau. Il y avait un beau soleil, quoique légèrement aveuglant.
J’étais plongé dans mes affaires quand Alexandre est arrivé. Je ne lui ai pas prêté attention. Il n’en méritait pas de de toute façon. Le château a ouvert et les visiteurs ont commencé à affluer. Par une journée pareille, je savais qu’on allait avoir du pain sur la planche.
Au milieu de l’après-midi, un gosse est venu avec toutes les questions qui lui passaient par la tête. Il devait avoir 5 ans, pas plus. Je l’aurais bien envoyé vers Alexandre pour l’emmerder, mais ce dernier était occupé avec une jeune femme qu’il devait trouver à son goût. Et ça avait l’air réciproque, vu la façon dont elle s’appuyait sur la rambarde.
— Bonjour Monsieur !
— Bonjour.
— Moi c’est Gabriel, et toi ?
— Grégoire. Je peux t’aider ? Où sont tes parents ?
— Je suis avec ma maman.
Du doigt, il m’indiqua celle qu’Alexandre avait entre ses griffes de malotru.
— D’accord. Tu n’irais pas la rejoindre ?
— Non. Le monsieur il a dit que chez toi y avait des trucs rigolos.
L’enfoiré avait bien joué son coup. Il allait pouvoir compter Fleurette pendant que je me tapais le babysitting du mioche. Je l’agonisais d’injures intérieurement.
— C’est quoi, ça ?
— C’est une pointerolle. Et tu ne dois pas y toucher.
— Pourquoi ?
— Parce que tu risques de te couper.
— Pourquoi y a des dessins sur ton caillou ?
— Alors, c’est pas un caillou, mais une pierre. Ensuite, on appelle ça une marque de tâcheron.
— Mais c’est pas une tasse !
— On dit une tâche. Et ça s’appelle comme ça, c’est pas moi qui ai décidé.
— Pourquoi ?
— Je ne sais pas. C’est comme une signature, si tu veux.
— C’est quoi une sinatureuh ?
Je jetais un regard désespéré vers la mère du gamin. Elle était toujours pendue aux lèvres de ce bellâtre.
— Je peux jouer avec la fourchette ?
J’écarquillais les yeux en me retournant, constatant le petit en train de faire joujou avec la gradine. Je lui arrachais l’objet prestement.
— Non, mais ça va pas ? C’est pas un jouet ! Pose ça tout de suite !
J’avais dû gronder plus fort que je ne l’aurais cru, car je vis le menton du moutard commencer à trembler. Je sentais le cataclysme arriver. Je fis de mon mieux pour éviter le pire. Je me mis à sa hauteur, souriant tant bien que mal. Le geyser menaçait dans ses yeux. J’étais paniqué. Les enfants qui pleurent, ça me terrorise.
— Excuse-moi, je ne voulais pas te faire peur. Mais c’est dangereux de toucher au matériel comme ça. Que va dire ta maman si tu te blesses ?
Le bambin me balança un coup de pied tellement preste dans les parties intimes que je regrettais aussitôt ma gentillesse.
— Espèce de petit…
Je me redressais pour prendre de la contenance, mais ce sacripant me sauta sur le pied de toutes ses forces. Je fis tournoyer mon maillet en tentant de garder l’équilibre. Le calfat s’en détacha et s’envola.Il fallut que Genny passe à ce moment-là, juste à temps pour me voir figé d’horreur, le petit en train de sucer son pouce en rigolant. Elle suivit mon regard. Je maudis le cookie de la veille.
À terre, à côté de la mère qui hurlait, Alexandre gisait, le crâne défoncé par le bout manquant de mon instrument.